Sur le papier cette course ne semblait par particulièrement difficile et c’est sans appréhension que nous abordons les premières pentes aussitôt la sortie du village de Saint-Dalmas. L’ambiance est assez joviale, nous bavardons encore entre nous en sachant que cela ne durera pas. Un concurrent distrait tente, tout en courant, de régler la bonne longueur de ses bâtons au risque d’éborgner un de ses voisins. Prudent, je m’éloigne de ce gesticulateur avant de pénétrer dans la forêt de pins en file indienne. Les conversations ont cessés pour se concentrer sur notre première ascension. C’est la montagne en été, il fait chaud, nous cheminons sur un sentier pierreux, observés par un troupeau de moutons incrédules bien intrigués par cette longue procession d’humains, non sans nous encourager de bêlements sonores et continus à l’exception d’un dernier né soucieux de s’alimenter auprès de sa mère. Plus loin, des bivouaqueurs encore somnolents finissent leur petit déjeuner alors que le soleil est déjà haut. Je me dis que je préfère largement avoir eu le concert des moutons quelques minutes seulement plutôt que toute une nuit comme l’on probablement endurés les campeurs.
Quelques longueurs encore avant une petite route en pente douce et le premier ravitaillement. Nous échangeons quelques mots, sur le temps, sur la difficulté de la course, et nous repartons alors que se dresse devant nous le Col du Veillos à 2 194 mètres. Si la pente est raide, le passage n’en est pas pour autant des plus difficiles, la piste est large et il est possible ici de bien choisir où poser ses pieds. Un petit coup d’œil en bas pour se donner du courage en voyant le chemin déjà accompli, puis nous longeons le GR sur une crête jusqu’aux premières plaques de neige où un concurrent prend le temps de faire une boule et la lancer sur son voisin qui s’en amuse. La rivière a creusé son lit sous la neige, dont un bloc tient en suspend au dessus d’elle fixée précairement à la rive. Le spectacle est féérique, les lacs, la neige, la chaine du Mercantour, tant pis pour la performance sportive je prends un peu le temps d’observer l’endroit, de m’en imprégner pour le conserver à jamais dans mes souvenirs.
Puis le décor change vite dans l’ascension vers le mont Peipori, point culminant de la course à 2 674 mètres. Il a fallu se protéger du froid. Ici, le sol n’est que roche sur cette terre marron, le temps d’observation du paysage n’est plus d’actualité, chaque pas est calculé, chaque pierre évitée. Au sommet, un concurrent fait cette sage remarque : « On a fait le plus dur ; il nous reste le plus dur ». En effet, contrairement à la course sur route, les descentes en trail peuvent parfois être plus périlleuses que les montées. Pour l’heure, la première partie de cette descente est plutôt roulante jusqu’à l’entrée dans la forêt où la piste de terre est glissante, la prudence est de mise.
Le deuxième ravitaillement est au 15e kilomètre, il reste deux difficultés. La descente jusqu’à la Colmiane que j’avais noté sinueuse sur la carte et qui l’était finalement moins que prévu, se fait sans encombre malgré une petite erreur de trajectoire qui me rallonge d’une cinquantaine de mètres lorsque j’ai contourné un lacet par la route alors que le balisage permettait de couper. Après la station de ski la descente ne s’est fait pas directement sur Saint Dalmas, il faut d’abord descendre jusqu’à la station de télésiège avant la dernière ascension, celle après 3 heures et demi de course, celle où l’on est fatigué, celle où l’on va si doucement qu’on se demande si on marche vraiment. Elle fait un peu plus d’un kilomètre, intrinsèquement se n’est pas la pire des montées mais elle est située là, justement. Lorsqu’enfin on en voit le bout, on pense que s’est fini, mais la dernière descente n’est pas des plus faciles, on y glisse, des pierres roulent sur les côtés, on passe en serrant les dents et les poings, surtout ne pas tomber, pas maintenant.
Puis l’on entend les bruits de l’animation sur l’aire d’arrivée, les derniers mètres sont sur la prairie, alors on passe encore une ligne d’arrivée fatigués mais satisfaits de l’avoir fait cette fois encore.